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Anne-Marie Doux

Écrit par Aurore Evain

Création Sonore Laurent Sellier
Voix Marianne Schlégel

Une roseraie, Quartier du parc, les HLM.

Le matrimoine, c’est souvent plonger dans l’histoire locale, là où l’on conserve le mieux la mémoire de celles qui ont œuvré au service de la collectivité, et à qui l’on a refusé l’entrée dans l’Histoire, celle qui a un Grand H, mais une petite mémoire… celle qui oublie donc la moitié de l’humanité.

Après tant d’années passées à la recherche du matrimoine, je ne suis pas peu fière de connaître toutes les femmes de cette balade… sauf une, que pourtant on connaît bien à Guyancourt. Notamment à l’atelier de la troupe amatrice de La Ferme de Bel Ebat : Anne-Marie Doux ? Une femme en rouge, dans un fauteuil roulant ? me répond Sandrine… Je la rencontrais aux fêtes de quartier lorsque je faisais partie des majorettes, renchérit Patricia, une personne souriante, le rouge était sa couleur préférée… Et Ingrid d’ajouter : elle a marié ma fille !

Je consulte le numéro 393 du Guyancourt-Magazine, du 27 mai 2010. On y consacre une pleine page à Anne-Marie Doux, partie un mois plus tôt. Elle est née en 1943 : à l’âge de 3 ans, elle fut atteinte d’une polyomyélite, qui lui paralysa la moitié du corps. Malgré le handicap, elle poursuit ses études et obtient une bourse à l’université d’Athènes. On me parlera souvent de ce départ pour la Grèce, en voiture, avec une bande d’amis. « Arrivée à Guyancourt en 1979, elle n’aura de cesse que de se battre pour la justice sociale, poursuit l’article.  Elle rejoint l’équipe municipale de Roland Nadaus et enchaîne quatre mandats. Elle est successivement conseillère municipale chargée des Handicapés, adjointe chargée des affaires sociales de la Santé, de la Solidarité et de la Petite Enfance, adjointe chargée des Affaires sociales, des Anciens et de la Solidarité », puis, quand la maladie devient trop douloureuse, « conseillère municipale déléguée aux Anciens. »

Anne-Marie Doux traverse la vie dans son fauteuil roulant comme une athlète de haut niveau, bien décidée à réussir cette course d’obstacles. Elle savoure chaque instant, chaque danse, chaque voyage, chaque rencontre. Et tisse un maillon de solidarités, qui marque de son empreinte la ville. Un ville qui deviendra pionnière dans la mise en place d’infrastructures accessibles à toutes et tous, valides et invalides, jeunes et vieux.

Maintenant, je cherche la roseraie, entre les dédales des immeubles. Et justement, en face de moi, surgit Ingrid, promenant ses chiens. Elle m’y emmène.

– J’ai deux souvenirs avec Anne Marie. Avec le comité de jumelage nous sommes à Nuremberg et visitons le château. Dans la cour d’honneur il y a des pavés. Elle ne peut pas rouler dessus.
Elle ne renonce pas. Deux hommes prennent son chariot chacun par un côté et la porte à l’autre bout. Même scénario pour qu’elle puisse monter dans la tour de guet. Elle voulait toujours être aux mêmes endroits que les valides.

Ensuite, lorsque notre fille nous a annoncé son intention de se marier nous avons immédiatement pensé à elle. Pour qu’elle fasse connaissance avec le jeune couple nous l’invitons à prendre l’apéritif. Mine de rien elle pose des questions, écoute. Nos enfants seront surpris d’entendre dans son discours tout ce qui a été dit ce soir là et dont ils n’ont pas eu conscience d’avoir parlé. La soirée s’est éternisée… Un ami raccompagne Anne Marie chez elle en poussant son chariot. Hélas il ne voit pas la petite dénivellation et le chariot bascule. Elle me parlera souvent de cet apéritif un peu trop arrosé.
Voilà, Aurore, je ne sais pas si tu peux utiliser ces petites choses.

En discutant avec l’ancien maire François Deligné, ces petites choses s’accumulent et dessinent peu à peu l’ombre d’une grande dame.

Une combattante, qui relève les défis, qui ne quitte jamais le ring de la vie.

Des combats pour être une jeune fille, une femme comme les autres, qui étudie, s’amuse, voyage. En Ecosse, elle danse du rock’n roll en fauteuil roulant. Le soir des législatives, on la descend du haut des escaliers très raides de l’ancienne mairie.

Elle exige le même parcours que tout le monde. Et pour y parvenir, créer du collectif afin de lutter contre les empêchements. Son équipe, son terrain de sport à elle, ce fut l’équipe municipale. Elle y fut l’une des rares femmes à l’époque, de surcroît handicapée, avant même la loi sur la parité.

Des combats pour défendre les valeurs de solidarité au sens large, et ça, ça demande de boxer tous les jours.

Des combats pour mener à la fois sa vie d’élue, son engagement associatif, et son activité professionnelle, en tant qu’attachée administrative à l’université de Saint-Quentin-en-Yvelines.

Des combats pour rester engagée malgré les difficultés, la douleur.

Des combats pour ne pas être exclue de la vie.

Cela lui vaudra des médailles : celle de la Jeunesse et des Sports, et le titre de Chevalière des Palmes académiques.

A la fin, une respiration de plus en plus difficile.
Ca ne m’empêchera pas, ça ne m’arrêtera pas.
Jusqu’au bout du dernier mandat. Mourir en vie..

Combattante. Engagée pour la vie. Jusqu’au bout, au service de « ses Anciens », comme elle les appelait.

Ingrid me montre les fenêtres de l’appartement où vécut Anne-Marie Doux, en face de la roseraie. J’appelle Armelle Le Bras-Chopard, ancienne adjointe à la Culture à la mairie de Guyancourt, qui l’a bien connue. Elle me glisse qu’ nne-Marie Doux, sans sa maladie, aurait aimé devenir historienne. Et cela me plaît de l’imaginer se penchant sur le destin des empêchées et contribuer à une histoire qui n’exclut pas la moitié de l’humanité. Elle me confie, au bout de cette enquête, qu’Anne-Marie a toute sa place au matrimoine car sa capacité à trouver des ressources dans l’adversité, à mener une vie aussi riche et remplie, à conserver cette autonomie et cette joie de vivre, en dépit de la maladie, font d’elle un modèle, pour ses contemporains et les générations à venir.

Devant les fenêtres où vécut Anne-Marie Doux, les roses continuent d’éclore et de rougeoyer. A mon tour, j’aimerais y déposer, au détour de cette balade, en souvenir de cette amoureuse de la vie, une rose du matrimoine, cueillie dans l’œuvre de Marceline Desbordes-Valmore. Une rose qui, comme la chaleureuse présence d’Anne-Marie Doux dans le cœur des Guyancourtoises et Guyancourtois, n’est pas prête de fâner :

J’ai voulu ce matin te rapporter des roses ;
Mais j’en avais tant pris dans mes ceintures closes
Que les nœuds trop serrés n’ont pu les contenir.
Les nœuds ont éclaté. Les roses envolées
Dans le vent, à la mer s’en sont toutes allées.
Elles ont suivi l’eau pour ne plus revenir ;
La vague en a paru rouge et comme enflammée.
Ce soir, ma robe encore en est tout embaumée…
Respires-en sur moi l’odorant souvenir.

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