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Flora Tristan

Écrit par Pauline Susini

Au moment où elle entendit le coup de revolver elle sut. 

Elle sut que même si elle survivait, elle avait atteint le point de non-retour. 

C’est ce jour-là, au moment précis où elle sentit la mort traverser son poumon gauche, qu’elle comprit que son combat pour la condition des femmes et des travailleurs précaires était vital. 

Je m’appelle Flora Tristan et j’ai failli mourir le 10 septembre 1838. En réalité, je suis née ce jour-là. Il a fallu ce poumon percé pour que celui qu’on ose encore appeler mon mari soit enfin condamné aux travaux forcés. 

Petite elle s’imaginait des choses. Elle s’inventait des familles et des glorieux ancêtres. Il lui est arrivé de raconter qu’elle était l’arrière-petite-fille de Simon Bolivar lui-même. Je ne sais pas d’où lui venait cette envie. À la mort de son père, elle avait quatre ans et je peux dire sans hésitation que son enfance heureuse s’acheva ce jour-là. Elle a passé son adolescence à se demander s’il était possible de sortir de la pauvreté. Et surtout quand on est une femme. Pour sa mère la réponse était toute trouvée : À 17 ans, elle m’obligea à épouser un homme que je ne pouvais ni aimer ni même estimer. À cette union je dois tous mes maux. Comment vous décrire sa violence et ses humiliations ? Comment raconter ses coups et ses insultes ? Si je vivais cette violence, d’autres devaient la vivre aussi. C’est cette pensée qui lui a donné l’élan de partir. Son silence et sa peur ne seraient pas les témoins invisibles du pouvoir sans frein des hommes. C’est enceinte de son troisième enfant, qu’elle est partie. Ne pouvant pas divorcer, elle a changé d’identité et fui sans se retourner. Elle devait être indépendante, s’instruire et voyager. 

Sa première destination fut le Pérou. Elle partait dans l’espoir de trouver au pays de son père une terre et une famille d’asile. On lui a renvoyé son statut de bâtarde et de femme non-mariée. Tout était contre elle : les mœurs et le droit.

Elle a alors décidé que son combat intime allait devenir public et collectif. Je voulais appliquer la révolution que je menais dans ma vie à l’ordre social et à la classe ouvrière tout entière. Elle s’est mise à réfléchir aux statuts d’une association venant en aide aux femmes seules et c’est ce qui a donné naissance à son premier texte : Nécessité de faire un bon accueil aux femmes 

étrangères. Mais c’est son texte autobiographique : Pérégrinations d’une paria, qui la fit connaître. À ce moment-là j’ai presque le monde entier contre moi. Les hommes, parce que j’exige l’émancipation de la femme ; les propriétaires, parce que j’exige l’émancipation des salariés. 

Afin de répandre ses idées, elle parcourut elle-même les routes de France pour rencontrer les travailleuses et les travailleurs, et ouvrir le débat social. C’est lors de ce tour de France qu’elle mourut de la fièvre typhoïde. Elle avait 41 ans. 

Son petit-fils, Paul Gauguin, écrira d’elle quelques années plus tard « Il est probable qu’elle ne sut pas faire la cuisine. » J’espère surtout que les femmes et les hommes de ce monde se souviendront surtout de cette phrase : L’homme le plus opprimé peut opprimer un être, qui est sa femme. Elle est le prolétaire du prolétaire même. »

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