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Cendrillon

Écrit par Praline Gay-Para

Création Sonore Laurent Sellier
Voix Marianne Schlégel

Mes histoires et mes géographies sont multiples, comme beaucoup de mes voisins autour de cette place qui porte mon nom français ; Cendrillon. Ailleurs on m’appelle Fille des cendres, ou Cuisse de cendre, ou encore La Cendrouse. Parfois on ne me nomme pas. Certains prétendent que je suis née en Extrême-Orient. Est-ce si important ?  La vie c’est le mouvement dit le proverbe, alors je bouge, je change, je varie et je grandis.

La cendre c’est mon rituel de deuil, celui  que la déesse Hestia m’a transmis, pour cicatriser le chagrin et absorber les larmes.  Certains osent dire que j’ai passé ma vie à attendre le prince charmant. Laissez-moi rire. Je n’ai jamais attendu personne. J’ai fait ce que j’ai voulu, quand j’ai voulu.

À la mort de ma mère j’ai passé des jours à pleurer. Puis ma marâtre et mes sœurs ont dévoré mes pensées et mes heures. Seul refuge, les cendres. Et un jour, je l’ai vu passer. Lui, le prince. Il aurait pu être paysan, bûcheron ou ouvrier, ça n’aurait rien changé. C’est moi qui décide qui est prince à mes yeux et qui ne l’est pas. 

J’étais devant la fenêtre de la cuisine quand je l’ai aperçu. Il a mis pied à terre et une abeille est venue se poser sur sa main. De l’autre main, en coupelle,  il la accueillie délicatement puis il l’a posée sur le rosier et il a dit à son compagnon de voyage : « Une petit vie à protéger. » C’est à ce moment-là que j’ai décidé de le séduire. Je dois avouer qu’il est joli garçon.

Quand j’ai appris qu’il donnait un bal, je me suis préparée. J’ai cousu mes robes en cachette. Je m’arrangeais pour que la maison reste propre dans la journée, et la nuit je cousais.

La première nuit du bal,  elles m’ont interdit de quitter la maison et elles sont parties. Je me suis fait belle et quand je suis arrivée, tous les yeux se sont tournés vers moi. Les siens surtout. Nous avons dansé toute la soirée. Quand minuit a sonné, je lui ai demandé d’aller m’apporter un verre d’eau et j’en ai profité pour rentrer en courant. À leur retour, mes sœurs ne parlaient que de la « belle inconnue ». J’ai fait mine de dormir. Le deuxième soir, quand je suis arrivée, il était devant la porte et m’attendait. Il a été attentionné toute la soirée. Quand un peu avant minuit, quelqu’un l’a appelé, je me suis éclipsée. Je riais sur le chemin du retour. Il me restait une soirée !

Le troisième soir, je suis arrivée plus tard. Il faisait les cent pas devant la salle de bal. Il ne m’a pas quittée un seul instant. J’ai profité du seul moment où il a eu le dos tourné et j’ai couru. Dans les escaliers, j’ai lancé une de mes chaussures, j’ai pris l’autre à la main et j’ai couru très vite. Qu’il est bon de fouler l’herbe mouillée ! Je me suis vautrée dans les cendres aussitôt rentrée. 

Le lendemain branle-bas de combat. Mon prince faisait le tour des maisons pour retrouver sa belle grâce à la chaussure retrouvée. Ma belle-mère m’a cachée sous un panier d’osier retourné. « Ne bouge pas ! » m’a-t-elle ordonné. Aucun des pieds de mes sœurs n’a réussi à se glisser dans ma chaussure. J’ai entendu le prince s’en aller. J’ai lancé un « Cocorico ! » strident. Il s’est approché du panier. Ma belle-mère l’a invité à s’y asseoir. Il s’est posé, juste au-dessus de moi. Avec l’épingle que j’avais dans ma poche, je l’ai piqué dans la partie la plus ronde de son corps. Il a bondi. En colère, il a soulevé le panier. La suite, vous la connaissez à peu près. 

Sur la plaque qui porte mon nom, je vous prie de préciser : Cendrillon, celle qui a forgé son destin de ses propres mains.

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