Aller au contenu

Europe

Écrit par Aurélie Namur

Création Sonore Laurent Sellier
Voix Marianne Schlégel

Europe était Princesse d’Orient.
Elle aimait courir sur le rivage avec ses amies.
Elle était jeune et mortelle – c’est dire combien Zeus la désira.
«Mais cette fois, s’est-il dit, je l’enlèverai élégamment! Pas comme j’ai fait avec Io! ».
Europe, donc, riait sur le rivage avec ses amies quand elle perçut, sous un Cèdre libanais, un taureau blanc. Superbe. Sauvage. Il la fixait, puis se coucha sur son flanc.
« C’est une invitation? – se dit Europe, fascinée. Même s’il me dévore la mâchoire, ça en vaut la peine, car notre rencontre est celle de deux mondes, l’humain et le sauvage…»
Europe s’approcha de la bête. «N’y va pas!», clamèrent ses amies.
Europe couronna l’animal d’un diadème de fleurs, le caressa, se jucha sur son flanc. Oh… Un frisson inconnu la parcourut.
Soudain, la bête se cabra, bondit dans les flots, emportant la Princesse.
Aujourd’hui encore, on crée des peintures, céramiques, films ou poèmes qui relatent cet enlèvement. Et pour cause, quel paradoxe que cette adolescente, terrifiée, cramponnée aux cornes, sa chaire trempée et nue par transparence sous la drapure, quel paradoxe donc que ce premier – et trop bref – désir pour une bête, qui se révélera être d’une tout autre nature…
A peine arrivé sur le rivage crétois, l’animal déposa sa proie sous un platane et reprit forme humaine: c’était donc ce type, Zeus, encore lui!
«N’es-tu capable de séduire qu’en trompant ? Ce n’est pas un pleutre petit dieu que je désirais mais le superbe taureau blanc à qui j’aurais même donné ma mâchoire…»
«Apprends à bien porter ta fortune, une part du monde prendra ton nom.», lui répondit-il. Et sous le platane, il la viola.
Sous le platane, Europe se tut – pas comme sa lointaine aïeule, Io, qui, pour la peine, devint Vache, puis folle, tournoyant dans les airs, dessinant les contours du futur continent.
Sous le platane, Europe invoqua ses frères qui la cherchèrent longuement sur les rivages, créant au passage la Phénicie, la Cilicie, et important l’alphabet phénicien.
Sous le platane enfin, trois fils naquirent, Europe trouvera la force de les élever.
Quant au petit dieu, stratège, il garantit l’éducation de sa progéniture en mariant la mère au roide Crète, puis s’en retourna (en sifflotant) vers de nouvelles aventures.
Des aventures contées par les poètes, rarement les poétesses. Car les mythes sont étiologiques, inventés pour expliquer une réalité.
Est-ce à dire que de petits hommes puissants, se prenant pour dieu, cherchent encore à justifier leurs crimes ?
Certes, et tu le sais bien, Europe, digne Europe, à tes dépens.
 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.